Comprendre les ICO – Ces levées de fonds numériques

Publié dansBusiness, Transformation digitale

Il y a 10 ans à peine, KissKissBankBank et autres plateformes de crowdfunding révolutionnaient le financement des entreprises, en permettant à n’importe quel porteur de projet de collecter des fonds de façon participative. Plus abscons, mais tout autant révolutionnaires – si ce n’est plus ! -, les ICO sont en train de transformer à leur tour le système de levée de fonds… à condition de comprendre ce qui se cache derrière ce mystérieux acronyme.

Décryptage avec Fabrice Heuvrard, expert-comptable et commissaire aux comptes.

Illustration ICO

 

Qu’est-ce-qu’une initial coin offering (ICO) ?

À ce jour, il n’existe pas de définition juridique, reconnue internationalement. Pour faire un parallèle avec un événement d’entreprise connu des professionnels du chiffre : c’est une sorte de levée de fonds en crypto-actifs et non en euros. On peut également définir une ICO comme un financement participatif dont les participants sont des particuliers qui peuvent être domiciliés partout dans le monde (il existe des restrictions pour les ressortissants américains). Les ICO permettent généralement de financer une innovation technologique dont le sous-jacent est une technologie de la blockchain. Ils donnent lieu à des émissions de jetons (tokens), des actifs numériques transférables sans duplication (voir L’ICO en 3 étapes) entre deux parties sur internet. Ces tokens sont cotés sur différentes plateformes d’échanges (en cours de réglementation au niveau mondial) et échangeables contre des crypto-actifs (bitcoins, ethers).

En quoi une ICO est-elle différente d’un système traditionnel de levée de fonds ?

L’ICO est comme un « crowdfunding survitaminé », très rapide : on peut lever l’équivalent de plusieurs millions en quelques minutes, quand dans le même temps une petite startup lève péniblement 100 000 euros en 6 mois ! Certains achètent des tokens pour spéculer, en espérant une plus-value importante, d’autres pour bénéficier du service créé. En théorie, les ICO ne donnent pas de droit au capital, mais à l’usage d’un service. Si on prend un exemple réel : une école participe à une ICO qui propose d’utiliser la blockchain pour mettre les diplômes des étudiants en ligne1. Cette école n’achète pas une part de la startup qui monte le projet, mais des jetons qui lui donnent accès à un service : permettre aux futurs employeurs des étudiants de consulter les diplômes en ligne.

1 www.bcdiploma.com

Quels sont les avantages et les inconvénients des ICO ?

Cela permet de lever des fonds rapidement, sans plafond, sans lourdeur administrative et sans organisme financier. Il n’y a pas de contrat, pas de réglementation. Pour les émetteurs d’ICO, les avantages sont nombreux. Côté investisseur en revanche, il faut être très vigilant. Il est très difficile de vérifier l’honnêteté d’une ICO et de la faisabilité technique du projet de blockchain envisagé. Parfois, il n’y a même pas de personne morale créée pour l’occasion. L’absence de règlement ou de loi dans de nombreux pays, dont la France, rend les escrocs difficilement attaquables. Actuellement, je déconseille aux entreprises d’investir dans une ICO sans avoir préalablement audité le projet sérieusement. Autre inconvénient, en l’absence de réglementation nationale, il est très difficile de convertir les cryptos-actifs en euros et de les transférer sur un compte bancaire « classique ».

Quel est le statut juridique des ICO en France ?

Il n’y en a pas. L’Autorité des marchés financiers (AMF) a lancé une consultation publique fin 2017, dont elle a publié les conclusions en février 2018. Une large majorité des répondants s’y exprime en faveur de la mise en place d’un cadre légal approprié pour cette nouvelle modalité de levées de fonds. Le collège de l’AMF s’est montré très ouvert sur la question, et a décidé de poursuivre son travail relatif à la définition d’un cadre juridique spécifique. Le problème vient plutôt de l’administration fiscale, qui ne bouge pas. Elle attend des experts-comptables qu’ils se positionnent et nous attendons qu’elle s’exprime. L’Autorité des normes comptables, qui édicte la doctrine, n’a toujours pas communiqué sa position. On peut penser de l’ICO d’aujourd’hui, qu’elle est le crowdfunding d’il y a 5 ans.

En quoi cette absence de règlementation impacte-t-elle les experts-comptables ?

Concrètement, nous avons de sérieuses difficultés en matière de comptabilité et de fiscalité. Quand une entreprise réalise une ICO, deux chemins sont possibles :

  • soit on considère cette levée de fond comme un chiffre d’affaires, avec un retraitement éventuel en produit constaté d’avance. Ce montant est donc soumis à l’impôt sur les sociétés et à la TVA dans les conditions de droit commun.
  • soit on l’intègre en compte de tiers du bas de bilan (compte 46 ou 51). Cette imputation n’a pas d’impact en termes d’impôts sur les sociétés ou de TVA et permet de conserver la totalité de la somme levée.

Cette absence de cadre réglementaire, fiscal, comptable et juridique nous empêche d’accompagner sereinement tous les projets d’ICO, puisque la comptabilisation est étroitement liée à l’analyse préalable du token ad hoc qui sera émis.

La théorie d’Einstein sur la relativité du temps trouve encore une nouvelle application dans la distorsion de vitesse/temps entre le monde de la « Tech » et le monde de notre chère administration fiscale.

L’ICO en 3 étapes simples

Annonce de l’ICO

L’entité qui réalise une ICO crée un site Internet. Elle utilise les réseaux sociaux et des réseaux spécialisés pour dévoiler son projet dans le monde entier. Pour se tenir informé, mieux vaut faire partie d’une communauté.

Publication de l’offre

Sur le site, le projet est présenté sous la forme d’un white paper (livre blanc), sorte de road map qui présente l’équipe, l’opération et son calendrier et précise l’adresse codée où envoyer les cryptoactifs pour obtenir des tokens. S’il n’y a pas de règles définissant ce que doit comporter un white paper (à l’image d’un business plan), les white papers sont en voie d’uniformisation.

Vente de jetons

Ils sont émis de manière automatisée en contrepartie d’un virement de l’investisseur dans la monnaie demandée. Leur valeur évolue : plus on investit en amont du projet, plus la côte du token est faible : la plus-value sera d’autant plus importante en cas de revente.

Bref retour sur la Blockchain

Pour comprendre les Initial Coin Offerings (ICO), il faut préalablement bien comprendre la technologie de la blockchain, dont ils sont indissociables.

La blockchain est un protocole informatique, une technologie de stockage, de transmission d’informations sécurisée et décentralisée, une sorte de registre numérique qui détient l’historique de toutes les transactions et de tous les échanges effectués par des participants. Les deux principales blockchains publiques, connu du grand public sont Ethereum ou Bitcoin. Elles gèrent une cryptomonnaie (récemment rebaptisée par la Banque de France crypto-actif) différente : l’ether et le bitcoin.

Cette technologie permet l’échange de valeur de pair à pair, via le transfert d’un crypto-actif qui n’appartient ni à une banque, ni à un pays, ni à une entreprise. Ces monnaies numériques peuvent s’échanger entre pairs, parce que le protocole informatique de la blockchain supprime la duplication, créant ainsi de la valeur numérique. Lorsqu’on transmet un fichier de musique, chacun possède une copie du fichier ; mais il est impossible de transmettre un même crypto-actif plusieurs fois !

L’absence d’intermédiaires constitue une autre spécificité. Il n’y a pas d’organe central de contrôle. Les informations, accessibles à tous, ne sont pas stockées sur un seul serveur central, mais détenues par un grand nombre de serveurs, appelés les « noeuds du réseau » tout autour du globe. Cette configuration renforce la sécurisation, car elle rend la blockchain plus difficile à corrompre. En supprimant les intermédiaires, la blockchain permet par exemple à des individus non bancarisés dans les pays en voie de développement de s’échanger de la valeur, à défaut de monnaie nationale fiable et non sujette à inflation.

 

Article paru le 18 juin 2018 dans Le Francilien